Écrire avec l'IA ou contre l’IA ?
- Virginie Shirley

- 27 oct.
- 5 min de lecture
Préambule
Je me sers de l'IA dans mon processus de création éditoriale. je m'en sers comme un jardinier utilise une pioche. Elle m'aide à creuser, à rompre certains blocages, à nourrir ma réflexion, mais elle ne guide pas mes choix sensibles, elle ne prend pas mes décisions, elle n'altère pas mon jugement. Le texte ci-dessous est un questionnement personnel et subjectif que je vous donne en partage.

L’expression « Intelligence artificielle » a été inventée en 1956 lors de la conférence de Dartmouth 1, à des fins promotionnelles dans le but de capter des financements en faveur de ce domaine de recherche alors émergeant. Pourtant l'IA n’est au fond, encore aujourd’hui, rien d’autre qu’un traitement informatique de la donnée et de la programmation.
Une machine intelligente ?
L'utilisation même du mot même « intelligence » questionne : en anthropomorphisant les machines, il leur prête toutes sortes de capacités, implicitement contenues dans la notion d’intelligence, comme l’apprentissage, l’inventivité, la compréhension, l’empathie, la parole, la subjectivité, l’originalité, etc.
“La pernicieuse appellation d’intelligence artificielle nous incite à anthropomorphiser des machines et à leur prêter toutes sortes de capacités qu’elles n’ont pas” De la bêtise artificielle, d’Anne Alombert, Éditions Allia, 144 p.
Une machine à produire des idées moyennes
Or, l’IA est un outil fondé sur une automatisation « numérique » ou « computationnelle », qui s’appuie sur une masse de données récoltées pour en faire la synthèse. En ce sens, l’IA n’est autre que le moyen de booster notre « performance » (rapidité de travail) par la standardisation et la normalisation instantanées de productions intellectuelles. Elle ne participe pas d’un processus créatif d’élaboration d’une pensée sensible et personnelle.
La machine ne s’exprime pas, mais fait des calculs probabilistes et statistiques sur des quantités massives de données pour générer des expressions probables. Donc, elle renforce les moyennes, les stéréotypes et les clichés.

Continuer à inventer
Le fonctionnement probabiliste de ces systèmes renforce les moyennes et les stéréotypes. Il automatise nos expressions et entraîne un risque d’uniformisation culturelle. Il ne nous permet pas d’enrichir nos capacités mentales. Dans un élan de productivisme qui fait recette et que l'on appelle "efficacité" ou "rentabilité (c'est selon), l’IA transforme aujourd'hui nos esprits comme jadis les machines de la révolution industrielle ont transformé le corps des ouvriers : des entités à produire. Cachée sous l’intelligence, l'accès facile et immédiat à de la pensée standardisée pourrait-il nous rendre plus bête ? C'est un risque. A nous humain de continuer à inventer du nouveau en redigérant les clichés émis par l’IA. Et cela passe aussi par redonner toute sa place à la création artistique qu'elle quelle soit, plastique, éditoriale, musicale.
Un seul mot d'ordre : la créativité
Le savoir humain s’exerce à travers les pratiques singulières de différents êtres vivants. Chacun transforme et enrichie la connaissance acquise au fil des siècles pour la faire évoluer, la transformer, la sublimer. C’est le processus créatif, incertain et inattendu, parfois généré par la sérendipité ou l'intuition, qui renouvelle l’expression de la connaissance. La littérature, la transmission, l'invention et donc aussi la science sont aussi les fruits de processus non linéaires, construits sur des épreuves et des adaptations imprévisibles.

Voir la vérité en face
Dans la longue chaine de l’édition, le rédacteur principal s’associe parfois à un rédacteur secondaire, ou à une équipe de rédaction, parfois un ou une secrétaire de rédaction. Chacun trouve sa place et participe à l’élaboration du texte. Il faut voir la réalité en face. Aujourd’hui, le recours à l’IA dans le contexte de l’amélioration d’un contenu n’a pour finalité que de supprimer l’intervention humaine dans cette chaîne de travail. L'IA prend en charge les tâches les moins intéressantes, certes, elle n’ajoute rien de plus. Or, tout est dans ce "plus", dans la gamme infinie des émotions et des sensations qui fit bifurquer l'action humaine.

Autrices et auteurs vent debout
Pas d’idéation avec l’IA. Les modèles d’IA, bien qu’efficaces pour générer des textes structurés et grammaticalement corrects, tendent à produire des contenus au style neutre et uniforme, au risque à terme de limiter notre capacité à penser de manière critique. L’IA privilégie souvent des formulations consensuelles et des tournures standards, ce qui nuit à la richesse stylistique et à la créativité individuelle, sensible et émotionnelle. Par exemple, utiliser l’IA pour corriger des premiers jets peut conduire à un certain nivellement du style d’écriture.
Par mimétisme, il se pourrait qu'on en arrive à réduire notre propre créativité linguistique en évitant des constructions audacieuses ou poétiques et ainsi freiner la créativité linguistique voire appauvrir son style et son vocabulaire, privant nos écrits de nuances par la même occasion.
Considérée sous l’angle de l’efficacité, l’IA devient rapidement une solution de facilité, réduisant la volonté de s’investir dans le processus créatif, abaissant la qualité finale des livrables et faisant disparaître la fibre sensible qui naît de la singularité et du style de chaque autrice(auteur). Enfin, l’IA est percluse de biais (par mimétisme avec la pensée humaine majoritaire) : discriminations, stéréotypes, biais culturels, biais d’auto-renforcement, etc.
Mais, l’IA peut venir en aide aux rédactrices(eurs)
Gardons alors l’IA pour nous offrir des suggestions et surmonter le syndrome de la page blanche, pour inspirer de nouvelles perspectives. Ainsi, l’IA ne remplacerait pas la créativité humaine, elle la compléterait, via une collaboration entre partenaires.
OK, utilisons donc l’IA comme un outil de support, tout en restant maîtres du processus créatif et de nos idées, dans une forme d’utilisation active et réfléchie pour enrichir le processus créatif.
Pourquoi – comment ?
Rédigez un paragraphe, puis demandez à l’IA de suggérer des améliorations ou de signaler des points faibles. Vous restez ainsi le seul maître à bord.
Brainstormez avec l’IA. Posez lui des questions ouvertes sur un sujet et utilisez ses réponses comme tremplins pour développer vos propres idées.
Utilisez l’IA pour générer des informations factuelles que vous enrichissez avec vos propres perspectives et analyses.
Indignez vous de ses réponses générales et renforcez ainsi votre pensée critique dans une approche réflexive et créative de la rédaction.2
La puissance inégalée de l’imagination humaine
La pensée proprement humaine, érigée face à la présence grandissante de l’automatisation et l'uniformisation des contenus numériques, est un espace privilégié d'expression de la singularité et de la subjectivité. Il suffit de penser en termes de liberté, originalité et sensibilité pour confirmer que l’intervention humaine est indispensable à la création de contenus de qualité, particulièrement quand il s’agit de textes nuancés et complexes. Chaque rédactrice(eur) offre le fruit de son imagination propre, son savoir-faire stylistique et sémantique et sa « patte » singulière. C’est précisément cette touche personnelle qui favorise l’engagement des lecteurs.
Je suis plus que jamais convaincue qu'un texte diffusé sur le site web d'une marque sera d'autant plus efficace, générant une adhésion forte des publics ciblés, qu'il est bien écrit, documenté et compréhensible, autrement dit qu'il répond à une certaine exigence de qualité et de créativité. Reste à savoir si les donneurs d'ordres (clients, entreprises, collectivités, institutions, éditeurs, consommateurs) offrent les conditions d'une création de qualité ou si la rentabilité immédiate l'emportera.
1 La conférence de Dartmouth (Dartmouth Summer Research Project on Artificial Intelligence) est un atelier scientifique organisé durant l'été 1956, qui est considéré comme l'acte de naissance de l'intelligence artificielle en tant que domaine de recherche autonome. C'est à l'occasion de cette conférence que John McCarthy (professeur américain et initiateur de la conférence) a convaincu l'auditoire d'accepter l'expression « intelligence artificielle » comme intitulé du domaine.




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