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Photo du rédacteurVirginie Shirley

La folle histoire de… la pomme de terre

Dernière mise à jour : 27 juin 2023

Il y a fort longtemps, elle s’est appelée papa, turma de tierra, chuno, patata, cartoufle. Aujourd’hui, elle s’appelle Charlotte, Mona Lisa, Anabelle, ou Amandine. Celle que Victor Hugo surnommait “la truffe du pauvre” a conquis le monde et nos assiettes : voici l’histoire de la pomme de terre (Solanum Tuberosum L.).


Marilyn Monroe, élue Miss Potato, Idaho, 1952


En 2017, la production mondiale de pomme de terre était de 388 Mt. Le principal producteur est la Chine (22,8%), suivie par l’Inde, l’Ukraine et la Russie, avant les États-Unis… C'est l'une des plantes les plus connues au monde. Consommée par les humains depuis

10 000 ans, il aura pourtant fallu attendre le XVIe siècle pour que les Européens la découvrent.

Dans les hauteurs tempérées de la Cordillère des Andes

La pomme de terre commune est originaire de la cordillère andine, dans une zone tempérée qui s’étend du Chili à la Colombie, à cheval sur le Pérou et la Bolivie. Bien avant que les conquistadors s’en emparent vers 1537, la plante appelée « papa » avait déjà un énorme intérêt alimentaire chez les Incas.

En effet, la patate que l'on retrouve dans nos assiettes commence à accuser un certain âge : les humains ont commencé de manger la pomme de terre sauvage (famille des solanacées) dès 8 000 ans avant notre ère, au Néolithique ! Le spécimen le plus ancien connu, la Solanum maglia, vieux de 13 000 ans avant J.-C., a été découvert sur le site archéologique de Monte Verde, au sud du Chili.

Les civilisations précolombiennes, au cœur de la cordillère des Andes, sont les premières à l'avoir plantée et cultivée. On la trouvait même à très haute altitude (3 à 4 000 m) contrairement au maïs par exemple. La culture de la pomme de terre s’est notamment généralisée dans la région du lac Titicaca. Les Tiwanaku, une civilisation pré-inca, parviennent à domestiquer la patate, alors en partie toxique. Pour la détoxifier et la conserver, les amérindiens lessivaient les pommes de terre à grande eau puis les disposaient sur le sol avec une alternance de jour chaud et nuit froide pour la dessécher. Ainsi, elle se conservait jusqu’à plusieurs années.

Illustration de Herbert M. Herget (USA, 1885-1955)

Axomama, déesse de la pomme de terre

Dans la culture Inca la pomme de terre est un aliment vital comme le maïs. A ce titre, elle devient un élément sacré et fait l’objet d’un culte. On a retrouvé des poteries en forme de pommes de terre, mais aussi des représentations humaines ou animales, avec des yeux de pomme de terre dans la région de Cuzco...

Dans la mythologie des Incas, Axomama est la déesse de la pomme de terre, fille de Pachamama déesse de la terre. Son nom, qui s'écrit aussi Acsumama ou Ajomama, signifie littéralement « mère de la pomme de terre ». Il est formé sur les mots acsu et mama qui désignent, respectivement, la pomme de terre, et la mère en langue quechua.

Dans la culture Moche (une culture précolombienne prospère au Pérou entre l'an 100 et l'an 700) elle est personnifiée sous forme de vases de cérémonie en terre cuite.


Poterie de la culture Moche (culture précolombienne pré-incaïque qui s'est étendue tout au long de la côte nord péruvienne, à peu près entre l'an 100 et l'an 700 ap. J.-C) représentant Axomama, déesse de la pomme de terre. - American Journal of Potato Research


La lente ascension de la « patata »

Il faut attendre l'arrivée des conquistadors et leurs sanglantes conquêtes pour que la pomme de terre quitte l'Amérique.

Les premières descriptions de pommes de terre datent des années 1530. Le conquistador espagnol Pedro de Cieza de León la détaille sous le nom de "papa", dans ses Crónicas del Perú et raconte comment les populations locales la font sécher au soleil pour ôter les toxines et que la tubercule, ou turma de tierra (pour truffe de terre), une fois sec, est nommée "chuno".

En 1609, dans Commentaires royaux des Incas, le chroniqueur Garcilaso de la Vega décrit la pomme de terre : "Dans toute la province des Collas, sur une étendue de plus de cent cinquante lieues, le maïs ne pousse pas, parce que le climat est trop froid. On récolte quantité de quinoa, qui est comme du riz, et d'autres graines et légumes qui fructifient sous la terre. Parmi eux, il y en a un qu'ils appellent papa : il est rond et fort sujet à se corrompre à cause de son humidité. Pour empêcher que cela n'arrive, ils mettent les papas sur de la paille, car on en trouve d'excellente dans cette contrée ; ils les exposent à la gelée pendant plusieurs nuits ; en effet, pendant toute l'année, il gèle fort dans cette province ; et pendant que le gel les a brûlées comme si elles avaient cuit, ils les recouvrent de paille et les pressent doucement pour en faire sortir l'humidité qui leur est naturelle ou que la gelée leur cause. Puis ils les mettent au soleil et les préservent du serein jusqu'à ce qu'elles soient entièrement desséchées. Préparée de cette façon, la papa se conserve longtemps, et prend le nom de chuño ."



Avec les conquistadors, la pomme de terre commence son périple à travers le monde, d'abord aux îles Canaries, puis en Europe. Débarquée en Espagne, elle prend rapidement le nom de "patata", plutôt que "papa" dans sa version amérindienne : et pour cause, en Espagnol le mot Papa désigne le pape.

Mais la pomme de terre est plus considérée pour ses vertus thérapeutiques que culinaires. On la retrouve ainsi plus facilement dans les hôpitaux que dans les cuisines, où elle est employée pour soigner eczéma, brûlures et calculs rénaux. Le roi Philippe II d'Espagne ira jusqu'à envoyer des plants de pomme de terre au pape Pie IV pour l'aider à combattre la malaria... ce qui ne l'empêchera pas d'en mourir.

C'est Olivier de Serres (1539-1619), l'un des pères de l'agriculture française qui, au retour d'un voyage en Helvétie, ramena quelques plants de « cartoufle », comme on l'appelait alors. En 1613, la pomme de terre fut même servie à la table du jeune roi Louis XIII qui ne l'apprécia guère. Et, pendant longtemps, ce légume fut cultivé uniquement comme plante ornementale !

Une mauvaise réputation

Il faut attendre le milieu du XVIIe siècle pour que la pomme de terre soit consommée en Europe. Mais avant d'être acceptée comme un aliment digne de ce nom, elle a surtout pour principale utilité d'endiguer les famines.

Des superstitions entouraient cet aliment encore méprisé : "Une des raisons pour laquelle la pomme de terre est très mal accueillie en Europe, comme la tomate, c'est qu'on lui attribue tout un stock d'inconvénients majeurs. D'abord sa ressemblance avec la truffe. Le gascon utilise le même mot, truaut pour la pomme de terre et la truffe. Or la truffe est un champignon terrifiant. Il pousse sous terre, il est sensible aux variations et aux cycles lunaires : c'est-à-dire que c'est un champignon du diable, lié à la mort. Et la pomme de terre, on l'accuse de répandre la peste. Comme ce légume est mal considéré, on le donne à un animal transformateur par excellence, dévalorisé socialement : le cochon." (source : Concordance des temps de l’historien Anthony Rowley)

La pomme de terre, un règne tardif

Dans son ouvrage, le botaniste suisse Gaspard Bauhin décrit ainsi qu'on lui a raconté, qu'en Bourgogne, la pomme de terre ayant été accusée de véhiculer la lèpre, a été interdite. Dans L'Homme qui rit, dont l'intrigue se déroule à la fin du XVIIe siècle, Victor Hugo écrit ainsi : "Son acceptation de la destinée humaine était telle, qu’il mangeait [...] des pommes de terre, immondices dont on nourrissait alors les pourceaux et des forçats". La pomme de terre est également rejetée à cause de son appartenance à la famille des Solanacées comme la belladone, surnommée cerise du diable (cette plante peut se révéler très toxique, ses baies noires contenant de l'atropine, substance active sur le système nerveux du fait de ses propriétés anticholinergiques) et de l’odeur de ses feuilles que l’on juge épouvantable.

En 1740, Turgot, ministre du roi Louis XIII, essaya d'en encourager la culture, mais sans grand succès, les variétés d'alors étant aqueuses, amères et âcres. Le roi lui fait don d'une petite parcelle sur le Champs de mars pour mener à bien ses essais de culture mais personne ne fait attention à ses premières expériences.


La pomme de terre, ou le "pain des pauvres" - Antoine Parmentier, peint par François Dumont, en 1812.


Parmentier entre en scène !

C'est en 1769, alors qu’une famine sévère ravage la population, qu'intervient Parmentier. Cet événement pousse l’agronome français, (1737-1813) à chercher de nouveaux végétaux nourrissants. Il va progressivement réussir à imposer la pomme de terre au XVIIIe siècle en France malgré de nombreuses réticences.

Pourtant cultivée en France dès le XVIe siècle, elle est encore réservée à la nourriture aux cochons. L’histoire personnelle de Parmentier va faire basculer le destin de la plante. Envoyé en Prusse en 1760, Parmentier est fait prisonnier au cours de la Guerre de Sept Ans. Il est alors contraint de se nourrir de pommes de terre au cours de sa captivité et découvre qu'il n'en est pas incommodé, comme il l'écrit en 1773 : "Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé."


L'interdit devient convoitise

A son retour de Prusse, Parmentier décide de se consacrer à l’étude de la pomme de terre. Grâce à ses recherches, en 1772, la faculté de médecine de Paris déclare la consommation de la pomme de terre sans danger. Alors que la sécheresse sévit en 1785, le chercheur parvient à obtenir l'appui de Louis XVI en lui remettant, le 25 août exactement, des plants fleuris de la solanacée et en lui faisant déguster du pain à base de farine de pomme de terre. Il faut encore convaincre le peuple. C’est ainsi que, pour pousser la population à consommer le fameux féculent, Parmentier imagine une ruse restée célèbre. Il parvient à attiser la curiosité des parisiens en faisant planter le tubercule dans des champs gardés jour et nuit par des soldats armés. Lorsqu’il décide de baisser la garde une nuit, la pomme de terre, devenue objet de convoitise est immédiatement pillée. Grâce au stratagème, elle se diffuse peu à peu dans le bassin parisien. Louis XVI remercie alors Parmentier d'avoir "inventé le pain des pauvres".

La patate est cependant encore loin d'être devenue un produit alimentaire courant. En France, elle ne sera consommée qu’après la Révolution de 1789 et ne va se populariser qu’au cours du XIXe siècle avec les grandes famines de 1816, au sortir des guerres napoléoniennes. "L'Année sans été", avec un climat extrêmement perturbé, détruit une grande partie des récoltes d'Europe. Avec un rendement supérieur à d'autres légumes, la pomme de terre devient d'autant plus indispensable qu'elle produit ainsi plus de "nourriture" par unité d'eau que n'importe quelle autre culture vivrière, sans pour autant être très exigeante en terme de qualité de sol et de conditions météorologiques. Le tubercule devient progressivement un élément essentiel de l'alimentation.

Ernest Higgins Rigg (1868-1947), Les Ramasseurs de pomme de terre

Peu à peu, elle s'impose comme un élément prédominant des régimes alimentaires européens, au point de devenir centrale dans certaines agricultures. Paradoxalement, la pomme de terre sera à l’origine de la grande famine dans l’Irlande du XIXe siècle, où tous les paysans l’avaient largement adoptée. Entre 1845 et 1852, le mildiou anéantit presque intégralement les cultures locales de pommes de terre, alors qu'un tiers de la population dépendait exclusivement de la pomme de terre pour se nourrir.


Et maintenant ?

Deux siècles plus tard, la pomme de terre est devenue l'un des aliments les plus consommés au monde, sous de multiples formes. Passées les réticences de nos lointains aïeux à l’inclure dans la cuisine, la patate a finalement rencontré le succès qu’on lui connaît au point de devenir le 3e aliment le plus consommé au monde après le riz et le blé, et d’être consacré par l’ONU comme moyen de lutte anti famine. Sa quantité de matière sèche, qu'elle est capable de produire avec peu d'eau, sur un cycle relativement court, est très importante. Ce qui peut constituer une alternative tout à fait pertinente, pour nourrir les populations. La pomme de terre peut supporter des températures comprises entre 6 et environ 30-35 degrés. Elle supporte aussi des climats très secs, en étant irriguée. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) relève qu’il s'agit de la principale denrée alimentaire non céréalière du monde, facile à cultiver et à la teneur énergétique élevée, dont la production mondiale atteint 388 Mt.

A part la purée et les sarladaises, à quoi sert la patate ?

· Dans l’industrie textile, son amidon est utilisé pour raidir les tissus et consolider les fils afin qu’ils ne cassent pas au tissage.

· En agriculture, elle est un fabuleux désherbant bio! Utilisez l’eau chaude de cuisson pour vous débarrasser des mauvaises herbes qui poussent entre les dalles de votre terrasse.

· En cosmétique, c’est le produit de beauté, le moins cher du marché ! La pomme de terre a des vertus surprenantes : calmantes, décongestionnantes et astringentes. Un masque de rondelles de pommes de terre crues dégonflera les yeux fatigués (idéal pour le lendemain d’une fiesta) et apaisera les coups de soleil.

· Pour la santé, son efficacité anti torticolis est démontrée : glissez deux grosses pommes de terre cuites dans une chaussette et appliquez celle–ci sur votre cou.


Le saviez-vous ?

Dans nos campagne jadis, avoir une pomme de terre crue dans sa poche était un véritable porte-bonheur : elle était supposée mettre à l’abri des mauvaises rencontres, protéger des rhumatismes et éviter les maux de rein.

En 1996, la pomme de terre embarque à bord de Columbia. Pour la première fois, la NASA va tenter de cultiver des pommes de terre dans l’espace.

En 1952, Marilyn Monroe élue Miss Potato de l’Idaho, pose dans un sac à pommes de terre !



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